Les compétitions sportives suisses au cinéma

La Suisse occupe une position particulière dans l’histoire du sport mondial et de sa représentation cinématographique. Berceau des Jeux olympiques d’hiver avec les éditions de 1928 et 1948 organisées à Saint-Moritz, le pays a développé une tradition unique de documentation filmique des compétitions sportives qui s’étend bien au-delà de ses frontières alpines.

Les Jeux olympiques d’hiver de 1948, surnommés « les Jeux du Renouveau », marquent un tournant particulier car ils sont les premiers célébrés après la Seconde Guerre mondiale. Cette dimension historique confère au cinéma sportif suisse une portée symbolique qui dépasse le simple enregistrement d’exploits athlétiques pour toucher à la reconstruction et à l’espoir.

Comment le cinéma a-t-il capturé et transmis cet héritage sportif suisse ? L’évolution de la représentation des compétitions sportives helvétiques, du documentaire historique institutionnel aux productions contemporaines intimistes, révèle une transformation profonde des enjeux narratifs et techniques du cinéma sportif.

Les pionniers : Les films olympiques historiques

« Le Stade blanc » : L’œuvre fondatrice de 1928

« Le Stade blanc » (Das weiße Stadion), réalisé par Arnold Fanck et Othmar Gurtner pour documenter les Jeux olympiques d’hiver de 1928 à Saint-Moritz, constitue l’acte de naissance du cinéma sportif suisse moderne. Cette œuvre pionnière révolutionne la captation des compétitions sportives par ses innovations techniques remarquables.

Arnold Fanck, déjà célèbre pour ses films « de montagne » notamment avec Leni Riefenstahl, utilise « de multiples caméras et des points de vue imaginatifs pour transmettre l’esprit olympique ». Le film transcende le simple reportage pour devenir une véritable œuvre d’art cinématographique, sublimant les performances sportives par des techniques comme le ralenti et l’exploitation des contrastes entre ombre et luminosité.

L’histoire mouvementée de ce film illustre les défis de la préservation du patrimoine cinématographique sportif. Considéré comme perdu jusqu’en 2011, le film a été reconstitué par le Comité international olympique après de longues recherches dans les archives des cinémathèques du monde entier. Cette restauration témoigne de la valeur historique et artistique exceptionnelle de l’œuvre.

Le film capture des disciplines aujourd’hui disparues comme le ski jöring (où les skieurs sont tirés par des chevaux) et la patrouille militaire, ancêtre du biathlon moderne , offrant un témoignage irremplaçable sur l’évolution des sports d’hiver.

L’héritage des Jeux de 1948

Les Jeux olympiques de 1948 donnent naissance à « XIVth Olympiad: The Glory of Sport », réalisé par Castleton Knight, qui documente à la fois les compétitions d’hiver de Saint-Moritz et les Jeux d’été de Londres. Ces « Jeux du Renouveau » sont organisés avec des moyens limités et des athlètes mal équipés, mais portent un message d’espoir et de paix que le monde attend.

L’influence de « Le Stade blanc » se ressent dans les productions ultérieures, notamment « Les Dieux du stade » de Leni Riefenstahl sur les Jeux de Berlin en 1936, considéré comme « une suite logique » de ce film pionnier. Ainsi naît une tradition cinématographique qui associe exploit sportif, innovation technique et portée artistique.

L’âge d’or de l’alpinisme suisse au cinéma

Les massifs alpins comme décor naturel

Les Alpes suisses offrent un terrain de jeu exceptionnel pour le cinéma sportif, particulièrement dans les disciplines de montagne. De nombreux documentaires d’alpinisme et d’escalade mettent en vedette des alpinistes suisses évoluant dans les massifs alpins, créant une géographie cinématographique spécifiquement helvétique.

Le film « La Liste » illustre parfaitement cette tradition en suivant Jérémie Heitz, skieur suisse, « sur des pentes raides historiques de 15 sommets de plus de 4000m dans les Alpes suisses ». Cette production moderne perpétue l’alliance entre prouesse technique, beauté des paysages et innovation cinématographique initiée par les pionniers des années 1920.

L’émergence du cinéma sportif féminin enrichit cette tradition avec des films mettant en vedette des alpinistes suissesses comme Caro North, élargissant la représentation des sports de montagne au-delà des figures masculines traditionnelles.

Les productions contemporaines

« La Course aux sommets », disponible sur Netflix, illustre l’évolution moderne de ce cinéma en suivant les alpinistes suisses Ueli Steck et Dani Arnold « dans un dangereux duel en tentant d’établir des records de vitesse sur les grandes faces nord des Alpes suisses ». Cette production révèle comment les plateformes de streaming redéfinissent la diffusion et la réception du cinéma sportif suisse.

Le format documentaire reste privilégié, mais les enjeux narratifs évoluent vers une dramaturgie plus sophistiquée, transformant les exploits sportifs en véritables récits cinématographiques avec leurs tensions, leurs conflits et leurs résolutions.

Les champions suisses à l’écran : De l’exploit individuel au mythe

Roger Federer : Une icône moderne du tennis

La figure de Roger Federer exemplifie l’évolution du cinéma sportif suisse vers l’exploration de l’intimité des champions. « Les Douze Derniers Jours de Federer » (2024), réalisé par Asif Kapadia, marque un tournant dans la représentation cinématographique des athlètes suisses.

La RTS (télévision suisse) avait déjà proposé « Les années Federer », documentaire d’une heure consacré à « l’homme derrière le mythe, révélant l’intérêt croissant pour les aspects psychologiques et humains des champions au-delà de leurs seules performances sportives.

Le traitement cinématographique de la retraite sportive devient un genre à part entière, explorant l’émotion, la vulnérabilité et la transition identitaire des athlètes. Cette approche intimiste contraste avec la glorification héroïque des premiers films olympiques, témoignant d’une maturité narrative du cinéma sportif.

Diversification des figures sportives

Les équipes nationales suisses de ski-alpinisme bénéficient également d’une couverture cinématographique dans les compétitions internationales, élargissant le spectre des sports représentés au-delà des disciplines olympiques traditionnelles. Cette diversification reflète l’évolution du paysage sportif suisse et de ses nouvelles pratiques.

Évolution des genres et des techniques

Du documentaire institutionnel au cinéma intimiste

L’évolution technique du cinéma sportif suisse est saisissante : des premiers films « réalisés avec seulement deux caméras » aux productions modernes multipliant les angles et les dispositifs de captation. Cette révolution technologique s’accompagne d’une transformation des approches narratives.

Le passage de la glorification de l’exploit à l’exploration de l’intimité des athlètes caractérise cette évolution. Les réalisateurs contemporains s’intéressent autant aux doutes, aux échecs et aux émotions des sportifs qu’à leurs victoires, humanisant des figures souvent idéalisées.

Nouveaux supports et plateformes

Les plateformes de streaming comme Prime Video et Netflix jouent un rôle croissant dans la diffusion du cinéma sportif suisse, démocratisant l’accès à ces productions et touchant un public international. Cette évolution transforme les conditions de production, de financement et de réception de ces œuvres.

Les festivals de films de montagne spécialisés créent également de nouveaux circuits de diffusion, permettant l’émergence de productions plus confidentielles et artistiques qui complètent l’offre grand public des plateformes mainstream.

Les bookmakers, ces acteurs indirects non négligeables

À ce jour, il n’existe pas de cas connu de bookmaker finançant directement un film de cinéma ou un projet cinématographique porté par un athlète. Cependant, les meilleurs bookmakers suisses en ligne sont très actifs dans le sponsoring sportif (clubs, athlètes, événements) et dans la production de contenus vidéo liés au sport, comme des web-séries, des documentaires ou des formats hybrides, souvent diffusés en ligne. Ces initiatives, bien qu’éloignées du cinéma traditionnel, peuvent indirectement soutenir des projets médiatiques autour d’athlètes.

Dans certains pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, où les liens entre sport, divertissement et paris sont plus développés, on voit émerger des contenus plus proches de la production audiovisuelle professionnelle. Si cette tendance continue, il est possible qu’à l’avenir des bookmakers co-produisent des films ou documentaires à part entière, notamment autour de figures sportives connues. Pour l’instant, toutefois, le secteur du cinéma reste prudent vis-à-vis du jeu d’argent, surtout dans les pays à régulation stricte comme la France.

Enjeux contemporains et perspectives

Préservation du patrimoine cinématographique

Le travail de restauration du CIO pour « Le Stade blanc » illustre les enjeux de préservation du patrimoine cinématographique sportif. Cette démarche révèle la prise de conscience de la valeur historique et culturelle de ces archives, au-delà de leur simple dimension documentaire.

La numérisation et la restauration de ces œuvres historiques permettent leur redécouverte par de nouveaux publics et leur réinterprétation dans des contextes contemporains, enrichissant la compréhension de l’évolution du sport et de sa représentation.

Nouvelles narrations et publics

L’émergence du cinéma sportif féminin, avec des films mettant en vedette les femmes dans les sports de montagne, témoigne d’une diversification nécessaire des représentations. Cette évolution reflète les transformations sociétales et l’évolution de la pratique sportive vers plus d’égalité.

Les JOJ 2020 à Lausanne représentent une nouvelle génération et de nouveaux défis filmiques, questionnant les modes de représentation des jeunes athlètes et l’adaptation du cinéma sportif aux évolutions technologiques et culturelles contemporaines.

Conclusion : L’héritage cinématographique du sport suisse

La Suisse s’affirme comme une « force de proposition » dans l’organisation et la documentation filmique des compétitions sportives contribuant de manière unique à l’histoire du cinéma sportif mondial. De « Le Stade blanc » aux documentaires contemporains sur Roger Federer, une tradition cinématographique cohérente se dessine, alliant innovation technique, sensibilité artistique et profondeur humaine.

Cette évolution vers de nouveaux formats narratifs et l’exploration de l’intimité des athlètes repositionne le cinéma sportif suisse comme laboratoire d’expérimentation formelle et émotionnelle. Le défi contemporain consiste à préserver cet héritage tout en l’adaptant aux nouvelles attentes des publics et aux possibilités offertes par les technologies émergentes.

Le rôle du cinéma dans la transmission de l’héritage sportif suisse aux futures générations dépasse la simple conservation : il s’agit de continuer à inventer de nouvelles façons de raconter l’exploit, l’émotion et la beauté du geste sportif, perpétuant ainsi une tradition d’excellence qui caractérise la Suisse depuis près d’un siècle.

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